Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 avril 2010 1 12 /04 /avril /2010 20:17
Au moment où le PS redevient favori pour 2012 et se construit à nouveau un projet marqué à gauche, l’ancien Premier ministre, interrogé par Le Journal du Dimanche, affronte le bilan des années sociales-libérales.

 

Laurent Fabius, à l'heure du bilan. (Reuters)

Est-ce que la gauche revient à des valeurs oubliées, au moment où elle entrevoit à nouveau le pouvoir?
Nous essayons de lier espérance et expérience. L’espérance pour conjurer la panne d’avenir vécue par les Français. L’expérience car gouverner n’est pas facile. Le monde a changé, l’Europe n’est plus le centre de la planète et la crise montre que l’approche reaganienne – l’Etat est le problème– est dépassée.

Faut-il revisiter de manière critique vos années au pouvoir?
Il faut faire la part de ce qui a réussi, de ce qui a échoué et surtout de ce qui a changé.
Prenez l’emploi, qui reste la préoccupation numéro un. Nous avons un devoir national de faire la courte échelle aux jeunes, en particulier pour le premier emploi. Les emplois jeunes que nous avions inventés furent une réponse positive mais ponctuelle. En même temps, la France a besoin d’un pacte générationnel pour l’emploi des seniors car l’expérience d’une vie est un atout, y compris pour les nouvelles générations.

Donc, des réponses concrètes mais pas d’idéologie?
On n’avance pas sans idées: l’idéologie n’est pas un gros mot. Mais les préjugés, eux, sont une erreur et le sectarisme, une faute.
Les idées-forces de la gauche –la solidarité, la régulation– l’ont emporté. L’internationalisme aussi : les problèmes ne se résoudront plus seulement au niveau national. Quand nous proposons le "juste échange" plutôt que le libre-échange, avec notamment une fiscalité écologique et sociale aux frontières de l’Europe, nous sommes dans ces principes.

Mais depuis vingt-cinq ans vous aviez douté de ces principes sociaux-démocrates…
Personnellement, non. Mais beaucoup en France et ailleurs ont cru que le capitalisme pur et dur avait gagné sur toute la ligne. Cette résignation, ce fut le social-libéralisme, une sorte de pâté d’alouettes: on voit bien en quoi il est libéral, pas trop en quoi il est social.

Regrettez-vous d’avoir gouverné sans transformer la société?
Nous avons initié de grands changements qui ont rendu la société moins injuste. Prenez la CMU, le droit à la santé pour tous, qui a apporté un progrès majeur. Mais il est exact que nous n’avons pas toujours su articuler réponses nationales et solutions globales alors que, au moins pendant un certain temps, une majorité de pays européens étaient gouvernés à gauche. Nous portions en France une version plus interventionniste de la gauche que Tony Blair ou d’autres, mais cela n’a pas suffi.

En France, les années 1997-2002 sont celles où Jospin dit que l’Etat ne peut pas tout, et vos années stock-options…
Soyez juste. Lionel Jospin disait: "L’Etat ne peut pas tout mais il peut beaucoup."
Ce n’était donc pas une reddition même si la formule a été réduite au premier membre de phrase.
Quant aux stock-options, je voulais leur appliquer une fiscalité progressive, ce qui m’a valu à l’époque les foudres de la droite.

Vous expliquiez que la gauche pouvait perdre les élections si elle ne baissait pas les impôts…
Non, je disais –et cela reste vrai– que la fiscalité est un moyen au service d’un projet de société. La fiscalité est incontournable: il faut des ressources publiques pour agir. Elles doivent être à la fois efficaces et justes, ce qui n’est pas le cas depuis 2002 où le transfert s’est opéré au détriment des classes moyennes et au bénéfice des très hauts revenus. Mais nous n’avons évidemment pas pour objectif d’assommer tous les Français de taxes.

On a longtemps reproché au PS de n’avoir jamais admis son adaptation au marché après 1983.
De la même manière, pourquoi ne pas dire aujourd’hui que vous changez et comment?

En 1981, la gauche était en rupture après des décennies de droite au pouvoir. Je me souviens, nouveau ministre du Budget, de cet avertissement de l’administration trouvé sur mon bureau: "Risque budgétaire numéro un, augmentation de l’allocation aux handicapés." Nous sommes arrivés au pouvoir avec un programme de rattrapage social, percuté par la situation internationale. Le tournant de 1983, c’était d’abord une adaptation économique.

Il y a de l’ironie aujourd’hui, avec cette crise qui valide vos principes quand vous en doutiez…
Evitons la pensée magique. Qu’est devenu le volontarisme affiché par M. Chirac en 1995 sur la fracture sociale ou par M. Sarkozy sur la hausse du pouvoir d’achat en 2007?
Nous préparons un projet solide et crédible pour 2012, pas un catalogue de proclamations.

Donc pas de grand congrès socialiste pour réadhérer au volontarisme, après les années libérales…
Nous nous préparons à gouverner, donc nous nous tournons prioritairement vers l’avenir.
Comme tout gouvernement, nous avons dans le passé commis des approximations et même des erreurs. Mais nous avons eu aussi certaines anticipations fondamentales.
Au début des années 1980, avec d’autres, j’ai compris et formulé le fait que la gauche ne pouvait se résumer à la seule logique d’Etat ni à la toute-puissance du marché – c’est la fameuse phrase du congrès de Metz, en 1979:  "Entre le plan et le marché, il y a le socialisme."
Dans les années 1990, plusieurs d’entre nous ont perçu le changement radical qu’implique la donne écologique, ce qui m’a amené à proposer la notion de social-écologie désormais partagée par tous les socialistes. Pour le dire vite, l’avenir de la nature détermine la nature de notre avenir.
Enfin, au cours de ces mêmes années, nous avons affirmé avec François Mitterrand que l’Europe était notre avenir, mais que c’était une erreur historique de ne pas approfondir suffisamment l’Europe avant de l’élargir.
J’ajoute à ces convictions le besoin central, renforcé par la crise, d’une régulation internationale, commerciale, financière, environnementale et, pour la France, la nécessité de se concentrer sur l’avenir et de répondre à la grave question sociale.

On a l’impression que le PS ne se remettait jamais en cause, même après le 21 avril 2002.
Nous en avons tiré les leçons. Martine Aubry accomplit un parcours remarquable pour remettre au travail un parti qui ne réfléchissait plus assez et plus collectivement.

Le clivage européen de 2005 a été structurant?
Il est derrière nous.
Trouvez-moi quelqu’un de sérieux qui prônerait aujourd’hui la concurrence libre et non faussée !
Il faut retrouver pour la France un projet européen et international. Le rayonnement de la France et de l’Europe, ce n’est pas une question de gloriole, c’est un enjeu vital au plan industriel, social, culturel. Sinon, nous risquons de sortir des radars de la mondialisation.

Les difficultés du pouvoir sont votre chance…
Si nous l’emportons, nous trouverons une situation très dégradée, notamment pour les finances publiques.
Le plus grave, dans le quinquennat actuel, c’est que M. Sarkozy n’a pas préparé l’avenir. Il pratique une politique injuste, une politique de coups, de deals, comme s’il était une sorte d’avocat d’affaires gouvernant par saccades et même par foucades.
Or, gouverner exige une stratégie longue, une capacité à bouger mais aussi un sens profond de l’Histoire.

Vous évoquez les finances publiques.
Tout va recommencer, la gauche sera au pouvoir pour combler les déficits, contre elle-même?

Il faut fixer nos priorités. Face à la dette, trois voies sont possibles.
Tout garrotter pour atteindre rapidement le déficit zéro, et le pays tombe en déflation : intenable.
Ou, au contraire, ignorer cette réalité alors qu’elle étouffe nos économies : inenvisageable.
Ce qu’il faut, c’est combattre les déficits avec des mesures ciblées et offensives : revenir sur les cadeaux fiscaux de la droite et investir dans la compétitivité par le haut, celle de l’innovation, de l’industrie verte, de la formation, des PME.

Cela ne résoudra pas le déficit structurel…
Le non-remplacement systématique d’un fonctionnaire sur deux rapporte 500 millions d’euros par an.
Mais la défiscalisation des plus-values de cessions de filiales par les maisons mères –dont on ne parle jamais– a coûté 20 milliards en deux ans !
Il n’y a pas de trésor caché mais il y a des fautes et des erreurs à corriger. C’est cela gouverner.

Cécile Amar et Claude Askolovitch - Le Journal du Dimanche

Samedi 10 Avril 2010

Partager cet article
Repost0

commentaires